La calèche, tirée par un petit cheval roux, prend la calle Crisologo, pavée de blocs de pierre grise. De chaque côté, s'étirent de longues maisons blanches à un étage, percées de fenêtres à persiennes et de balcons de bois ouvragé. Sous les toits de tôle ondulée s'ouvrent des portails donnant sur des patios. Ici, toutes les rues se coupent à angle droit.
Bientôt, nous débouchons sur la Plaza Burgos. Elle est décorée de lampions multicolores et d'une crèche naïve. Autour de la place, l'hôtel de ville fait pendant à l'évêché et le palais du gouverneur se dresse face à la cathédrale Saint-Paul. À l'intérieur de l'immense église blanche, les femmes se rafraîchissent avec des éventails.
Les maisons, les églises, les palais témoignent des XVIe et XVIIIe siècles avec élégance. Vigan est un modèle de cité coloniale espagnole. A un petit détail près: les visages sont asiatiques. Nous ne sommes ni au Mexique ni au Pérou, mais à Vigan, au sud de la mer de Chine, à la pointe nord de Luzon, la plus grande île des Philippines.
“Découvert” et christianisé en 1521 par Ferdinand de Magellan qui sera tué à coups de lance et de pierre sur une plage de l’ile de Marcan, baptisé “Felipinas” en hommage à l’infant de Castille, le futur Philippe II, l’archipel sera annexé par l’Espagne en 1563 et restera colonie espagnole pendant trois siècles et demi. Les Espagnols partiront en 1898, chassés par les Américains et les nationalistes philippins.
Vigan est la seule cité coloniale espagnole de l’archipel et à ce titre, classée au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1999. Mais l’archipel, connu pour ses spots de plongée, ses volcans et ses rizières en terrasses, regorge d’autres trésors: les cathédrales et églises édifiées par les Espagnols du XVIe au XVIIIe siècle dans les îles de Luzon, Bohol et Cebu. Bien restaurées et entretenues, elles sont toujours en activité. Et pour cause : les Philippines sont sans doute le plus catholique des pays de la planète. À Cebu, la basilique del Santo Niño (1602) abrite la plus ancienne relique du pays, offerte en 1521 par Magellan à la reine Juana.
Aujourd'hui encore, c'est avec une immense ferveur que les Philippins se prosternent devant la statue du Saint Enfant pour mendier sa bénédiction. Ces églises ne sont pas ultra baroques, comme en Amérique du Sud, mais plus austères, comme ailleurs dans les îles du Pacifique.
Sans doute parce qu'elles sont bâties avec des blocs de corail argenté et brodé de fossiles de coquillages, de pierre volcanique noire ou de brique. Elles se déploient tout en longueur, renforcées par des contreforts de pierre antisismiques. Elles sont couvertes d'un toit pointu en tôle ondulée. Les clochers, à Luzon, sont séparés de la nef pour résister aux tremblements de terre et guetter les pirates.
Sur les frontispices triangulaires, il n'est pas difficile de repérer, sculptés dans la pierre parmi les blasons de l'imagerie chrétienne, des motifs pas très catholiques : soleils, lunes, fleurs de lotus stylisées, volutes évoquant les toits de pagode, chiens gardant les portails de bois. Les architectes étaient espagnols ou mexicains, mais les sculpteurs chinois.
Vigan: Une architecture espagnol
L’inscription de Vigan sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est due à la préservation d’environ 187 structures résidentielles, institutionnelles, commerciales et religieuses qui transportent les visiteurs dans le passé. Ce qui est étonnant avec ces structures, c’est qu’elles continuent d’être utilisées par les locaux, comme par d’anciens propriétaires du XVIIIe siècle. Leur endurance structurelle et leur pertinence pour une utilisation quotidienne jusqu’à nos jours témoignent du génie et du haut niveau de savoir-faire artisanal dans la création de ces trésors architecturaux.
Avant la colonisation de l’Espagne, les maisons Vigan étaient fabriquées à partir de matériaux légers tels que le bambou, le nipa et le coton. Celles-ci s'appelaient bahay-kubo. Elles sont aérées et faciles à nettoyer, mais elles ne font pas le poids face aux typhons qui visitent les terres pendant la saison des pluies, ni même à des incendies occasionnels.
Lorsque les Espagnols se sont réunis avec leurs sujets mexicains, les habitants locaux ont appris à exploiter leur carrière, à préparer les pierres et à fabriquer des briques. Ils ont également appris à les transformer en matériaux de construction résistant au feu en appliquant du mortier de chaux. Bien que les structures construites à l'aide de ces matériaux résistent mieux aux typhons et aux incendies, elles restent néanmoins des victimes faciles des tremblements de terre.